Montréal Contre-information
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Mai 062017
 

De Temps libre

[Lien du tract publié lors de l’événement : Avis de détournement]

17h03, 28 avril 2017. Il n’aura pas fallu plus de soixantes secondes pour que la rue Saint-Denis, une fois physiquement occupée par une cinquantaine de personnes, devienne l’expression sensible d’une critique radicale du monde qui l’organise. La preuve de la possibilité d’un temps libéré de la marchandise, du travail et du capital, elle fut jouie par près d’une centaine de personnes sur plus d’une heure. La vérité du concept du temps libre fut confirmée par le souhait unanime de sa reproduction partout où nos forces peuvent le permettre, par le désir de vivre en négatif de ce qu’on nous promet comme seule possibilité d’existence, par le désir d’en finir avec ce qui nous est seul permis de désirer : une pseudo-vie.

Si cet événement contraste avec ce qui constitue l’éternel répertoire d’actions des groupes qui luttent contre le capital – pour le meilleur ou pour le pire -, ce n’est pas tant par sa forme que par son contenu. Ce qui fait de ce détournement à la fois plus et autre chose qu’un simple détournement, c’est qu’il est la production effective d’un au-delà à l’objet détourné; il est plus que sa simple critique scandée sous forme de slogans insipides. Ou encore, il est sa critique pratique, réalisée. Si la circulation de marchandises dut être ralentie, voire freinée, ce n’était pas là un objectif en soi, se suffisant à lui-même, mais bien la conséquence nécessaire de notre réappropriation d’un espace se présentant comme la base matérielle à partir de laquelle nous pûmes produire un temps réellement nôtre. C’est que, pour une fois, c’est le contenu qui donna à l’action sa forme concrète.

En troublant la paix d’un ordre marchand qui achète sa propre légitimation par une répression d’une froide violence, il apparut évident que seraient ainsi attirés les sous-humains qui servent docilement le règne de la marchandise. À l’occasion de ce détournement qui fut la première contribution objective de Temps Libre à la dissolution du vieux monde, nous eûmes l’honneur de mobiliser près d’une quarantaine de ces suppôts de l’État, répartie sur une vingtaine de voitures, leur laissant l’opportunité de paralyser eux-mêmes l’essentiel du quartier latin. La flicaille qui tentait de trouver les « responsables » de l’événement avec qui négocier sa mort, à travers une foule de prolétaires de tous âges, alors qu’il dépassait – par son envergure et son intensité – depuis longtemps les attentes de ceux et celles l’ayant organisé, exprimait une fois de plus leur incapacité à comprendre quoi que ce soit. Abasourdies devant cette manifestation de perturbation inédite, les matraques du Capital ne purent que rester interdites, ne sachant s’il fallait tout casser ou ne rien faire, leur capacité d’analyse n’étant pas supérieure à celle de nos bagels fraîchement dumpstés. La décision fut prise pour elles : à 18h15, nous nous étions évanoui·e·s dans ce lieu dont nous étions, jusqu’au moment où nous décidâmes qu’il en soit autrement, maîtres. Du début à la fin, ce temps fut le nôtre, et son testament n’exprime rien d’autre que la promesse d’être reproduit sur une échelle élargie; promesse désormais portée par celles et ceux qui goutèrent ainsi au plaisir de produire les conditions de leur propre plaisir.